Le droit du sol

Sonnée.
Je referme la couverture et caresse du bout des doigts le mammouth de Pech Merle qui s’y trouve.
Vertige.

Marcher au long cours, le poids du sac sur les clavicules, les paysages traversés au rythme des pas, le corps qui au fil des jours semble n’être fait que pour ça. Les nuits sous les étoiles, le vertige des espaces du massif central. Cette impression de faire partie d’un tout. La joie de manger des abricots au milieu d’une rivière, l’énergie de certains lieux, le chemin sur la carte et dans les jambes. Tout ceci m’est familier.

Je n’ai jamais trop entendu parler de Pech Merle. Je connais mieux Chauvet Pont-d’Arc pour avoir habité et travaillé à proximité. J’en ai rêvé tellement de nuits de cette grotte, les dessins qu’on pourrait croire d’hier sur les murs. Combien de fois j’ai regardé les photos des différents panneaux, lu les publications ? Quelle magie dans les gorges de l’Ardèche et aux alentours, juste parce qu’elle est là, qu’il y en a peut-être d’autres et surtout qu’ils étaient là, ont vécu et arpenté ce lieu. La végétation était autre mais l’arche du pont d’arc était déjà là. Force des origines et vertige du temps qui passe. Questionnement aussi. Et nous ? Qu’allons nous laisser ?

Bure. CIGEO. Poubelles nucléaires. Pour des millénaires. Bien sur j’ai entendu parler de Bure, de ce projet fou d’enterrer sous l’argile nos déchets nucléaires. Mais c’était après Notre Dame des Landes où j’étais allée une fois manifester. J’avais l’impression d’avoir participé. Le projet était abandonné. Bure était une autre lutte, à d’autres d’y aller aussi. Si la construction de l’aéroport était stoppée ils allaient bien arrêter Bure. Je n’ai pas d’avantage suivi. J’étais contre par principe. Je ne savais pas que le projet datait de longue date, je ne savais pas le laboratoire sur place, l’arrosage à grand coup de financement, je ne savais pas la répression sur place. Je n’ai pas pris la peine de savoir.

Ce n’est pas notre propre perte que nous préparons mais celle des générations et des générations suivantes. Nous fabriquons le poison, le faisons couler à flot pour un confort illusoire. Plus malins que Prométhée. Nous jouons aux petits dieux colériques et mesquins. Regardez-nous, nous allons vous sauver du réchauffement climatique à grand coup d’irradiation.

Je retourne le livre retrouve le marcheur dans les grandes étendues herbeuses du massif central. Fais abstraction des symboles de radiation et tourne quelques pages, pour quitter l’horreur, retrouver le ciel étoilé, recroiser ce chien sous la pluie, retrouver en moi le sentiment de la marche sur « la peau du monde ». Revoir Marc Dufumier et les autres. Penser qu’une centaine de pages plus loin Etienne Davodeau rentrera sur le territoire de la commune de Saudron pour marcher vers Bure avec Joël Domenjoud. Je revis l’émotion que m’a procuré ce pied de nez, et je suis heureuse que cette BD existe. Au delà de l’horreur et de l’affront fait à la vie qu’elle évoque je vais essayer d’en garder l’espoir et la lutte. Ils pourront pendre le poète, mais jamais la poésie*

Je ne peux que vous conseiller cette BD. Le droit du sol. Journal d’un vertige d’Etienne Davodeau aux éditions Futuropolis. Bonne lecture !

* Première strophe de « Révolution » du groupe acoustique « C’est qui Paulette ?».

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